Par : Valérie Gonthier
Le Journal de Montréal, Mardi, 15 septembre 2015, 15 h 40
Pendant qu’un riche entrepreneur immobilier profitait de la vie au volant de voitures de luxe, en voyage ou entouré de jolies filles, des acheteurs qu’il a floués ont fait face à la faillite, la maladie et l’angoisse.
Denis Francoeur a proposé à plus d’une centaine d’investisseurs de lui acheter des propriétés en échange de 3000$ pour chaque vente. Il promettait à ces investisseurs de s’occuper des rénovations, des locataires ou des comptes, en plus de leur faire miroiter la moitié du profit lors d’une revente rapide.
Les acheteurs croyaient ensuite faire fortune. Ils se sont plutôt retrouvés au cœur d’un lourd stratagème immobilier.
Mais les choses se sont mises à mal aller pour Francoeur, 45 ans, de Saint-Hubert. Le projet d’investissement prometteur s’est alors transformé en cauchemar pour les victimes, dont certaines se sont tournées vers les tribunaux pour récupérer une partie de leurs pertes.
Elles ont récemment réussi à lui faire mordre la poussière.
Selon l’entente qu’il avait lui-même établie, Francoeur devait payer l’hypothèque, l’entretien des immeubles et les taxes de la propriété. Pour ce faire, il déposait des chèques dans les comptes des acheteurs, desquels étaient prélevés ces paiements.
Toutefois, en 2010, les acheteurs floués ont cessé de recevoir l’argent de Francoeur. Ils ont donc dû acquitter les montants dus. Ils se sont ensuite aperçus que les taxes scolaires n’avaient pas été payées.
«Stratagème malhonnête»
Puis, certains clients ont constaté bien tard la piètre qualité des propriétés acquises. Les rénovations promises n’étaient que cosmétiques tandis que l’entretien des fondations des immeubles et du toit avaient été négligé. Les victimes, 119 au total, ont alors dû débourser d’importantes sommes d’argent de leurs poches.
Les acheteurs l’ignoraient, mais Denis Francoeur avait mis en place une organisation de travail permettant de tromper les institutions financières : il leur faisait croire que l’acheteur prête-nom était un «propriétaire-occupant», alors que ce n’était pas le cas.
Dans au moins un cas, de faux documents ont été utilisés à l’insu de l’acheteur lors de l’achat.
Une stratégie qui est devenue «carrément un stratagème malhonnête», a conclu la juge Chantal Sirois de la Cour des petites créances, qui a condamné Francoeur à verser 7000 $ à 11 victimes qui l’ont poursuivi. Ils avaient tous perdu entre 3000 $ et près de 47 000 $ en acquittant les frais qu’avait promis de payer Francoeur.
«Aller en Cour, c’était très exigeant, autant en temps qu’en émotions. Alors plusieurs nous ont lâchés», a dit Roch Lemaire du Regroupement des victimes de Gestion Immobilière Denis Francoeur.
C’est en 2011 que des victimes du promoteur ont créé cet OSBL, afin de trouver un moyen de récupérer leur argent, mais aussi de s’assurer qu’un tel stratagème cesse.
«Parmi les victimes, plusieurs ont fait faillite. Ils ont perdu de l’argent, mais il y en a aussi qui ont fait des dépressions», a ajouté Sylvain Paquette, du Bureau canadien du crédit, qui a agi comme consultant auprès des victimes.
C’est l’ancienne adjointe de Denis Francoeur qui a fait appel aux services de M. Paquette pour aider les victimes.
La juge a soulevé le «voile corporatif», c’est-à-dire la distinction entre la société et son ou ses actionnaires, en condamnant Denis Francoeur personnellement dans l’affaire et solidairement avec ses sociétés.
Denis Francoeur a préféré ne pas commenter le présent dossier.
Une ancienne représentante les aide
Après avoir démissionné de son poste de représentante pour Denis Francoeur, Isabelle Poirier s’est rachetée auprès des clients floués qu’elle avait pour la plupart elle-même recrutés. Parmi eux figurait sa propre mère.
«J’informais M. Francoeur [des] plaintes [de clients]. De plus en plus, au lieu d’acquitter les comptes, il menaçait de “tirer sur la plogue”… Réalisant après un certain temps qu’il ne réglerait pas leur situation, j’ai entrepris des démarches auprès de notaires, avocats, comptables, amis et finalement Sylvain Paquette afin de chercher une solution pour aider ces personnes qui affrontaient d’énormes problèmes financiers et psychologiques complètement inattendus», peut-on lire dans un affidavit rédigé par Mme Poirier, déposé au dossier de la Cour.
Grosse vie
Elle a travaillé comme représentante pour M. Francoeur de 2005 à 2009. Selon la juge Chantal Sirois de la Cour des petites créances, Mme Poirier ne pensait pas que son patron avait des difficultés financières, «puisqu’il continuait à développer de nombreux projets d’envergure en immobilier. Il faisait notamment de gros achats de terrains».
La femme avait beau conseiller à son patron de réduire son train de vie, ce dernier ignorait ses propos. À un moment, Francoeur lui a même remis une liste de tous les clients et lui a demandé de choisir, qui il devrait payer, et qui il ne paierait pas, a déploré la juge.
«Elle a continué à voir Denis Francoeur se promener en Ferrari, en Audi R8, et actuellement en Mercedes», peut-on lire dans le récent jugement.
Mme Poirier a démissionné peu après, puis a suivi une formation pour devenir courtière immobilière, «afin de vendre le plus possible de propriétés appartenant à ces gens».
«J’ai vendu environ 57 propriétés appartenant à ces clients floués. Je me servais de mes payes (4 % sur contrat) afin de réussir à faire tourner la roue des ventes. Ainsi j’ai déboursé, à même mes profits, pour les rénovations à effectuer (non faites comme prévu)», a-t-elle écrit dans le document de Cour.